« À une passante », ou la fugacité de l'amour


Ce qui est magique dans la poèsie, c’est sa capacité de captiver des instants et de les éterniser. Bien après le moment, quand des détails et des impressions s’évaporent, il ne reste qu’un petit poème qui nous ramène au passé. La nature de l’homme opte, bien sûr, pour les souvenirs positifs : une félicité infinie, une exaltation esthétique ou une passion amoureuse. Ben justement ! L’amour, le coup de foudre, l’instant magique... ce sont des expériences qu’on trouve dans un poème de Baudelaire, « À une passante ».


Grâce à une rencontre fugitive avec la passante éponyme, le sujet lyrique vit un instant magique, un moment où il se détache de la réalité d’un café où il est assis en concentrant toute son attention sur la dame mystérieuse. L’apparition éphémère de cette femme, captée comme si c’était par un appareil photo, provoque la suspension du temps et apporte à cette scène de l'intimité et du lyrisme.

Robert Doisneau, Le Baiser de l'hôtel de ville, Paris, 1950

 La dame, qui se promène avec la gracieuse agilité, ressemble aux personnages qu’on trouve dans les anciennes photos. Sa figure, svelte et majestuese, domine dans la composition, en laissant la scénerie parisienne qui hurle et étourdit à l’arrière-plan. Une des jambes que la passante laisse apercevoir en soulevant sa robe, similaire à la sculpture, attire l’œil du sujet lyrique encore plus.

Willy Ronis, Place Vendôme, Paris, 1947
Source : https://fr.pinterest.com/pin/186195765815587530/

La passante constitue un idéal de la beauté inaccessible, pourtant existant. Indépendante, énergique et énormement belle, elle est pareille aux muses qui inspirent les poètes. Cependant, on ne peut pas la saisir ni l’arrêter : étant fugitive comme l’imagination créatrice, elle ne laisse à son observateur que d’inspiration et d’émotions menées jusqu’à l’extrême. Elle est un objet de l’amour et de la fascination dûe aux contradictions qui se matérialisent dans son regard. Le mystérieux et la beauté s’y mélangent avec une force violente et destructive, en donnant l’impression de « la douceur qui fascine et le plaisir qui tue ».

Robert Doisneau, La jamberue d'Alésia, Paris, 1968
Source : https://fr.pinterest.com/pin/366058275943826364/

La vie du poète prend de l’élan grâce à l’apparition sudaine de l’inspiratrice : elle l’illumine et lui apporte de la verve poètique. Ce coup de foudre semble un éclair qui illumine la nuit, il est une expérience très intense, mais, à la fois, très éphémère. L’envie du poète de revivre le moment est condamnée à l’échec, puisque leurs destins ne se croiseront à nouveau : la passante restera pour lui une inconnue. Après s'être rendu compte de cela, le sujet lyrique tombe dans le désespoir, pendant que le coup de foudre devient enregistré, comme dans une plaque photographique, à travers de la forme plus lyrique et romantique, un poème. Le poète y encadre un amour qui n’a pas pu exister éternellement que dans son imaginaire. 
L'innamoramento, duquel on parle dans le poème, est un terme italien qui désigne le coup de foudre amoureux. Il faut rappeler qu'il s'agit au XVIème siècle d'une sorte de fait de société très à la mode : la poésie amoureuse regorge de scènes de coup de foudre. Il correspond vraiment à l'intrusion radicale de l'amour dans la vie de deux personnes et le poète distingue ainsi deux phases : l'avant et l'après. Cela est aussi prétexte à l'écriture car il permet de montrer concrètement les changements qu'a produits l'amour.
Source : www.lettres-et-arts.net/histoire-litteraire-moyen-age-16eme/poesie-amoureuse-maurice-sceve-delie+24

L'amour au premier regard est un sujet qui revient souvant dans la littérature. Voici comment Julio Cortázar présente sa vision du coup de foudre dans Marelle :
Ce que beaucoup de gens appellent aimer consiste à choisir une femme et à l’épouser. Ils la choisissent, je te jure, je l’ai vu. Comme si l’on pouvait choisir dans l’amour, comme si ce n’était pas un éclair qui te fend en deux et te laisse pétrifié sur place. Tu diras qu’ils la choisissent parce qu’ils l’aiment, moi je crois que c’est versa vice. On ne choisit pas Béatrice, on ne choisit pas Juliette. Tu ne choisis pas la pluie qui te trempera jusqu’aux os à la sortie d’un concert.  
Source : J. Cortázar, Marselle, chapitre XCIII

Tant le corps féminin que les rencontres amoureuses par hasard dans un centre urbain ont servi comme inspiration pour les surréalistes (consulter, par exemple, la production littéraire d'André Breton). 

fragment du film de Luis Buñuel, Los olvidados
Source : www.youtube.com


Source : http://surrealismeandfemme.e-monsite.com/pages/la-femme-objet.html

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